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L’exécutif a présenté son projet de réforme des retraites, qui repousse le départ de 62 à 64 ans sous prétexte de réaliser des économies. Les concessions mises en scène sont autant de mesures cosmétiques destinées à faire avaler la pilule. 

 

Publié le mercredi 11 janvier 2023 https://www.humanite.fr/auteurs/cyprien-boganda-618763

 

Notre décryptage des annonces.

« Regarder la réalité en face. » L’argument, usé jusqu’à la corde par tous ceux qui ont réformé notre régime de retraites depuis 2010, a été resservi, mardi soir, par la première ministre lors de sa conférence de presse. Sans surprise, Élisabeth Borne a placé son projet sous le signe de la « préservation » d’un système menacé : « Laisser accumuler les déficits serait irresponsable », a-t-elle lancé gravement.

Travailler plus longtemps deviendrait le seul horizon responsable. Le ministre de l’Économie a brandi dans la foulée des chiffres destinés à faire peur : en 2030, le système accuserait un déficit de 13,5 milliards d’euros. Inquiétant, vraiment ? Pas si on rapporte ce chiffre au PIB, ce que se refuse à faire le ministre.

Selon le Conseil d’orientation des retraites (COR), le déficit du régime oscillerait entre 0,5 et 0,8 point de PIB seulement, jusqu’en 2032. Ces résultats « ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraites », précise le COR, limpide. Évidemment, l’exécutif ne l’a pas cité.

1 200 euros minimum, seulement pour les carrières complètes :

« Préserver le pouvoir d’achat » des retraités. Brandissant les principes de « progrès » et de « justice », la première ministre Élisabeth Borne a annoncé que le projet du gouvernement sera assorti d’une augmentation du montant de la pension minimale pour les futurs retraités touchés par sa réforme comme pour les actuels. Au lieu de 75 % du Smic aujourd’hui, son montant pour les personnes ayant validé une carrière complète sera porté à 85 % du salaire minimum à partir de septembre 2023, soit environ 1 200 euros. Selon l’exposé des ministres, les pensions seront dès lors « indexées » sur l’évolution du Smic.

Si les membres de l’exécutif ont assuré que la mesure visera à garantir « une retraite digne » après « une vie de travail », selon les mots du ministre du Travail Olivier Dussopt, les syndicats sont loin d’accueillir la disposition avec bonheur. « 1 200 euros, c’est à peine au-dessus du seuil de pauvreté fixé à 1 128 euros », s’agace dans un communiqué le « groupe des 9 », rassemblant des syndicats et associations de retraités.

La mesure peine d’autant plus à convaincre qu’elle exclura, telle qu’elle a été annoncée, bon nombre de retraités aux petites pensions. 

« Nous promettre une pension de 1 200 euros minimum est un miroir aux alouettes puisqu’elle n’est prévue que pour les carrières complètes », déplore ainsi Didier Hotte, de l’UCR-FO. Les personnes n’ayant pas cotisé le nombre de trimestres requis ne seront en effet pas concernées. Cette exclusion de la mesure touchera surtout les femmes : selon l’Insee, en 2016, seules 49 % des femmes retraitées avaient validé une carrière complète, contre 75 % des hommes retraités.

Des carrières longues qui vont s’allonger

« Un système juste, c’est permettre à ceux qui ont commencé de travailler tôt de partir plus tôt », a assuré Élisabeth Borne. Le gouvernement entend « adapter » le dispositif carrières longues pour accompagner le recul à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite. Créé en 2003, ce mécanisme dérogatoire permet à ceux qui ont cotisé suffisamment de trimestres avant leurs 16 ans ou leurs 20 ans de liquider leurs droits de manière anticipée, à 58 ans ou 60 ans dans le régime actuel. Dans le système envisagé par le gouvernement, les personnes éligibles devront attendre 60 ou 62 ans, en fonction de l’âge auquel elles ont commencé à travailler. Seuls ceux qui ont commencé à travailler avant 16 ans pourront partir à 58 ans.

À écouter la première ministre, ces mesures rendront « plus juste et plus lisible » le régime de retraites français. Pourtant, elles entérinent un allongement de la durée du travail pour ceux qui ont commencé très tôt leur vie active et exercent souvent des métiers difficiles et éprouvants. Dans le nouveau système, par exemple, un ouvrier du BTP qui travaille depuis l’âge de 18 ans devra rester en emploi pendant 44 ans, davantage, donc, que la durée de cotisation nécessaire pour bénéficier d’un taux plein. Le gouvernement précise cependant « qu’aucune personne ayant commencé à travailler tôt ne (sera) obligée de travailler plus de 44 ans ».

Autre annonce : les « périodes de congé parental » seront désormais « prises en compte » dans le calcul des carrières longues, ce qui permettra que « davantage de Français (soient) concernés par le dispositif ». Près de 125 000 personnes en ont bénéficié en 2021.

Triple peine pour les seniors :

Deux ans de plus à trimer. Et un index cosmétique pour encourager les entreprises « à leur faire plus de place ». Le gouvernement s’est montré pingre en « nouveaux droits » pour faire passer la pilule de cette réforme auprès des travailleurs dits seniors.

Première peine : l’âge légal reculant, les travailleurs seniors seront donc forcément plus nombreux sur le marché du travail. Or, comme l’explique l’économiste Michaël Zemmour, les précédentes réformes qui ont reculé l’âge légal de départ ont toutes eu pour conséquence « que ceux qui étaient toujours dans l’emploi à 60 ans y sont restés deux ans supplémentaires ; en revanche, ceux qui ne l’étaient plus ont vu s’allonger la période entre emploi et retraite  ».

Le nombre de NER soit les « ni en emploi ni en retraite » ,aux alentours de 1,4 million actuellement, devrait donc croître.

D’autant que, double peine, le gouvernement n’a rien prévu d’autre pour obliger les entreprises à favoriser l’emploi des seniors que la mise en place d’un index contenant quelques données chiffrées, devant servir de base à une négociation annuelle sur le sujet. La triple peine est réservée aux personnes nées entre 1961 et 1966 qui vont prendre de plein fouet l’accélération du calendrier de la précédente réforme Touraine augmentant le nombre d’annuités cotisées à 43 ans pour avoir une pension à taux plein.

Dans ce contexte, la facilitation du cumul emploi-retraite ou la mobilisation du compte de temps universel pour aider aux transitions professionnelles ne sont que des peccadilles. L’ouverture de la retraite progressive aux fonctionnaires ressemble, elle, à une provocation.

Pénibilité. Un parcours du combattant allongé de deux ans

La pénibilité, si elle est reconnue, permet de partir à la retraite au maximum deux ans avant l’âge légal. Ainsi, même pour les salariés qui remplissent tous les critères, les plus exposés feront valoir leurs droits à 62 ans au lieu de 60 actuellement. Et encore : les critères de pénibilité demeurent individualisés, donc difficiles à faire valoir.

Le gouvernement envisage certes bien de réintroduire dans le controversé C2P (compte personnel de prévention) deux des quatre critères que son prédécesseur dirigé par Édouard Philippe avait lui-même exclu en 2017 : le port de charges lourdes et les postures pénibles. Mais seulement après consultation médicale. L’exposition aux vibrations mécaniques comme aux agents chimiques dangereux en reste exclue. Quelques critères se verraient aussi légèrement amendés : 100 nuits travaillées par an rapporteront des points pénibilité, contre 120 avant. Appel du pied à la CFDT qui réclamait la mesure, Élisabeth Borne a promis une « amélioration du C2P pour qu’il permette la reconversion professionnelle », via un congé de formation. Enfin, l’exécutif a annoncé la création d’un fonds d’un milliard d’euros qui financerait des plans de prévention de l’usure professionnelle, à négocier à l’échelle des branches.

La pénibilité pourtant n’est pas une question individuelle et les chiffres compulsés par la CGT parlent d’eux-mêmes : 2,7 millions de salariés sont exposés à un ou plusieurs agents chimiques cancérigènes ; 10,7 millions subissent des contraintes physiques marquées ; 4,8 millions connaissent des rythmes de travail atypiques ; près d’un sur 10 doit travailler de nuit… Ainsi, 13,5 millions de salariés sont exposés à au moins un de ces critères. Mais les seuils d’exposition sont tellement élevés qu’à peine plus d’1,5 million de Français ont un C2P et que 2 000 à 3 000 personnes seulement peuvent faire valoir leurs droits à la retraite anticipée chaque année.

Mise à mort programmée des régimes spéciaux

« Nous allons fermer la plupart des régimes spéciaux. » Ce mardi, Élisabeth Borne a donc poursuivi le travail de ses prédécesseurs. Après la SNCF, le gouvernement s’attaque aux « nouveaux embauchés à la RATP, dans la branche industries électriques et gazières (IEG) et à la Banque de France, au Conseil économique, social et environnemental, (ainsi qu’aux) clercs et employés de notaires », a précisé le ministre du Travail, Olivier Dussopt. À compter du 1 er septembre 2023, ces salariés seront affiliés au régime général pour la retraite, précise le gouvernement.

Pour les autres, « le décalage progressif de deux ans de l’âge légal et l’accélération de la réforme Touraine s’appliqueront aux salariés actuels des régimes spéciaux mais en tenant compte de leurs spécificités », précise le gouvernement. Cette période de « convergence se réalisera en concertation avec les entreprises concernées », a poursuivi le ministre. Ces systèmes, qualifiés d’ « archaïques » par Olivier Dussopt, sont les seuls à « reconnaître la pénibilité », rappelle Sébastien Menesplier, de la CGT mines et énergie, au travers des anticipations de départ à 57,5 ans et des bonifications pour travaux pénibles. D’autant que l’ « équilibre » est atteint pour les énergéticiens.

Et que les comptes sont « excédentaires » pour la Banque de France. La Caisse de réserves enregistre une provision de 15 milliards d’euros, relève Hugo Coldeboeuf, de la CGT Banque de France. Une somme qui génère des recettes conséquentes pour l’État chaque année. L’annonce est un coup dur pour les salariés de l’institution, jusqu’ici alignés sur le régime de la fonction publique. La réforme pourrait avoir pour effet de baisser fortement leurs pensions.

Les 64 ans, retour vers les années 1970

Mardi soir, Élisabeth Borne a enfin abattu ses cartes : si le projet de loi est adopté, l’âge légal de départ en retraite sera relevé de trois mois par an dès septembre 2023, pour atteindre 64 ans en 2030 (contre 62 ans aujourd’hui). Dans le même temps, les salariés devront cotiser plus longtemps pour espérer toucher une pension à taux plein, avec l’accélération de la réforme Touraine. Datée de janvier 2014, cette réforme inscrit dans la durée le principe d’un allongement de la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein. Cette durée est relevée d’un trimestre tous les trois ans jusqu’en 2035, pour atteindre 172 trimestres (c’est-à-dire quarante-trois ans) pour les générations nées en 1973 et suivantes. Le pouvoir macroniste veut mettre les bouchées doubles, puisque ce palier serait franchi dès 2027, soit dès la génération 1965.

Ces 64 ans, au lieu des 65 annoncés par le candidat Emmanuel Macron en 2022, sont une « concession » sans surprise : depuis plusieurs semaines, l’exécutif avait annoncé qu’il pourrait atténuer un peu la violence du choc. L’exécutif a opté pour une solution hybride, qui présente le double avantage pour lui d’abandonner le marqueur des 65 ans, jugé trop clivant, tout en arrachant le soutien de LR à l’Assemblée nationale.

En effet, en novembre, le sénateur de droite René-Paul Savary avait déjà fait passer un amendement au projet de budget de la Sécurité sociale, qui consistait précisément à acter le passage aux 64 ans avec accélération de la réforme Touraine.

Il n’en reste pas moins que le recul social est patent : tous les salariés vont devoir travailler davantage, même ceux qui exercent les métiers les plus pénibles. En tournant le dos définitivement à l’acquis des 60 ans, voté par la gauche en 1981, l’exécutif propulse le pays dans une sorte de retour en arrière vers les années 1970, époque où l’âge de départ en retraite atteignait 65 ans… Pour l’instant, l’opinion publique s’oppose toujours à un tel scénario. 80 % des Français se disent hostiles aux 64 ans, selon un sondage publié par Odoxa ce lundi.

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